Fusions-acquisitions et responsabilité pénale
A propos de l’arrêt de la C. cass. ch. crim. du 25 novembre 2020
Moundir AKASBI
Avocat au barreau de Paris
Directeur du MBA Droit des affaires internationales – ESLSCA Paris
Le droit français vient de connaître une évolution importante concernant la question du transfert de la responsabilité pénale dans le cadre d’une fusion. En principe, la société absorbante reçoit l’actif et le passif de la société absorbée par les effets d’une transmission universelle du patrimoine (TUP)[1]. Une dette de la société absorbée est transmise à la société absorbante qui devient seule débitrice des créanciers de la société absorbée. Mais qu’en est-il de la responsabilité pénale ? La société absorbante peut-elle être tenue responsable des faits commis par la société absorbée ?
Nul ne peut être responsable que de son propre fait. La Cour de cassation, au visa de l’article 121-2 du code pénal, a déjà pris une position sur la question en vertu du principe de personnalité de la responsabilité pénale[2]. Une société absorbante ne pouvait pas voir sa responsabilité pénale engagée à raison des actes commis par la société absorbée. L'opération de fusion faisait disparaître la personnalité juridique de la société absorbée. « Nul n’est pénalement responsable que son propre fait », ce principe empêcherait donc que les délits commis par l’absorbée puissent être imputées à l’absorbante.
Position de la CJUE. La position de la Cour de cassation a été maintenue malgré un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne en date du 5 mars 2015[3]. En application de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes[4], la Cour estime qu'une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l'obligation de payer une amende fondée sur des infractions commises par la société absorbée antérieurement à la fusion. La Cour de cassation a fait manifestement le choix d’ignorer cette jurisprudence et de privilégier l’application de son principe pénale issu de l’article 121-2 du code pénal. Entre la position européenne et le principe pénal, le cœur basculait.
Le revirement. La position de la Cour de cassation vient de subir un revirement par un arrêt de la même chambre du 25 novembre 2020[5]. Le moyen de cet arrêt évoque qu’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre, la société absorbante peut-être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. Cela veut dire que désormais dans le cadre d’une fusion, on pourrait poursuivre une société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant la réalisation de cette opération. La responsabilité pénale de la société absorbée disparaît donc par les effets du TUP et pèserait désormais sur la société absorbante. Cette dernière peut donc être condamnée pour des faits commis par la société absorbée. Donc avant de réaliser une fusion, il faudra que la société absorbante observe attentivement, par le truchement d’un audit par exemple, ce qu’elle s’apprête à acquérir dans son patrimoine de la société absorbée. Les sociétés absorbantes doivent de ce fait renforcer leurs procédures de pré-acquisition afin d’identifier au préalable les éventuels risques pénaux, ce qui est loin d’être une démarche facile du fait de leur dissimulation courante par la société absorbée. D’ailleurs, la Cour de cassation ne se prononce sur aucune obligation d’information préalable des dirigeants de la société absorbée avant la réalisation de l’opération, ce qui laisse croire que le devoir de vigilance des dirigeants de la société absorbante triomphe sur l’obligation d’information qui aurait pu peser sur les dirigeants de la société absorbée. La Cour rappel néanmoins dans son attendu 33 que la société absorbante pourrait se protéger en insérant des clauses de déclaration et de garanties contraignantes dans les documents de l’opération. Encore, faut-il que ces déclarations puissent couvrir l’intégralité des risques. Les opérations en M&A sont donc inévitablement et considérablement impactées par cette décision.
Les restrictions. Cette solution connaît quelques restrictions. D’abord, ce revirement ne peut être applicable qu'aux opérations de fusion intervenues après le 25 novembre 2020 afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique édicté par l'article 7 de la CEDH. Ensuite, cette solution ne doit concerner que les sociétés anonyme et, très probablement, toutes les sociétés par action. Enfin, c’est une solution qui ne doit porter que sur des peines d’amende et de confiscation en attendant une éventuelle extension à d’autres types de sanctions ou d’autres formes de sociétés. La Chambre criminelle rappelle enfin que cette interprétation vise à éviter qu'une opération de fusion ne soit un moyen frauduleux pour une société d'échapper à sa responsabilité pénale.
[1] L’article L236-1 du code de commerce défini une opération de fusion précise qu’une ou plusieurs sociétés peuvent, par voie de fusion, transmettre leur patrimoine à une société existante ou à une nouvelle société qu’elle constituent. L’article L236-3 du même code rajoute que la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires…
[2] Cass. crim., 20 juin 2000,
[3] CJUE, arrêt C-343/13 du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/Autoridade para as Condições de Trabalho
[4] Directive codifiée par celle de (UE) 2017/1132
[5] Arrêt n°2333 du 25 novembre 2020 18-86.955