Le Coronavirus réveille la volatilité et nous rappelle douloureusement que les entreprises doivent gérer les risques financiers

par Georges CASTEL,

Directeur du MBA Trading-Finance de Marché, à l’ESLSCA Business School Paris

 

Avec une certaine béatitude, depuis plus de trois ans, les marchés boursiers mondiaux et notamment le NYSE à Wall Street n’ont fait que progresser ! Et ceci en se fondant sur cette fameuse logique que les professionnels des marchés financiers appellent le TINA « There Is No Alternative ». Que veut dire cet acronyme ? En fait, les taux d’intérêts sont durablement bas, voire négatifs, en raison de la pression sur les prix des exportations chinoises et du contrecoup de la guerre commerciale sino-américaine, accompagnés de politiques de Quantitative Easing Q.E. des banques centrales, en l’occurrence le rachat des dettes obligataires souveraines et même corporate avec injection de liquidités. Cela permet de différer les réformes structurelles de gestion des finances publiques des pays de l’Union Européenne lié à un manque de décisions politiques durables, notamment en France. La seule alternative possible aux rendements anémiques, voire négatifs, des marchés obligataires et monétaires réside alors dans les placements en actions. En France, le CAC 40 (à son plus haut niveau historique, 6944 points, le 4 Septembre 2000, au plus bas en 2008 (en séance) à 2350 points) a progressé laborieusement jusqu’à 6111 points le 11 Février 2020, après 23 % de hausse en 2019 pour s’effondrer le 09 Mars dernier à 4707,91 points, soit une baisse de 23% par rapport à son plus haut niveau. En quelques heures, le CAC 40 est revenu au niveau de Décembre 2018…

 

Aux Etats-Unis, le Dow Jones et le Nasdaq ont respectivement baissé de 7,79% à 23 851,02 points et 7,29% à 7 950,67 points. Juste après l’ouverture des transactions à Wall Street, elles ont dû être interrompues une vingtaine de minutes du fait d’une baisse brutale de 7 % du S&P 500. Ce principe de coupe circuit se déclenche chaque fois que ce seuil de baisse est atteint. Cette brutale accélération des pertes sur les marchés financiers, après deux semaines déjà très mauvaises, a également été amplifiée par la baisse des cours du pétrole (la plus forte depuis 19 ans) en réaction à l’annonce par l’Arabie saoudite d’une diminution de ses prix de vente. Le baril de Brent de la mer du Nord, côté à Londres, a chuté de près de 21% à 36,09 dollars, après un plongeon de 31,5% au pire de la matinée, la deuxième plus forte baisse de son histoire après celle du 17 janvier 1991, durant la première guerre du Golfe. Ce plongeon a été renforcé par les craintes de récession alors que l’épidémie de coronavirus a encore pris de l’ampleur ce week-end et que le cœur économique de l’Italie a été placé dimanche en quarantaine, et même tout le pays depuis ce mardi. Cette crise pétrolière a été amorcée par l’Arabie Saoudite qui a choisi l’option de la guerre des prix en annonçant une augmentation de sa production à plus de 10 millions de barils par jour en avril 2020, après l’échec des discussions entre l’OPEP et la Russie concernant une nouvelle réduction des quotas.

 

Il est tout à fait envisageable qu’avec cette décision brutale et imprévue que les cours du pétrole puissent descendre sous la barre des 20 dollars, contre 66 dollars en début d’année. Ces valeurs sont plausibles. Souvenons-nous qu’au moment de la guerre du Kippour le 6 Octobre 1973 qui a catalysé la crise pétrolière des années 1970 et 1980, le baril de pétrole avait quadruplé passant de 2 à 8 dollars le baril. Pendant la 1ère guerre du Golfe, le baril est passé de 13 dollars en octobre 1990 à 41,87 dollars le 17 janvier 1991 juste au moment du déclenchement de la guerre. La volatilité du pétrole était même parvenue jusqu’à un niveau de 250% annuel. Néanmoins, la guerre des prix du pétrole pourrait être temporaire, la Russie et l’Arabie Saoudite devrait vraisemblablement parvenir à un accord pour stopper la chute actuelle des cours. Mais si le coronavirus devait enrayer durablement l’activité macroéconomique d’autres pays que l’Italie, cela conduirait à une baisse drastique de la demande de pétrole brut et donc de son prix. Nous sommes encore loin d’être sorti de l’économie carbonée pétrolière, malgré les efforts récents.

 

Nous réalisons aujourd’hui, au vu de cette actualité économique et boursière mouvementée, que les modalités de gestion des investissements doivent être revues. A mon sens, cette crise ne devrait être que conjoncturelle à moins que le coronavirus ne s’étende dans le monde entier avec un taux de mortalité 20 fois plus important comme pour Ebola (à date, ce taux est de 2% ce qui est « raisonnable » statistiquement…). Dans ces circonstances, la gestion d’actifs/passifs en 2020, ne peut plus se faire selon la modalité de la Gestion dite Long Only. Il s’agit d’une gestion classique où toutes les positions prises par les gérants sont exclusivement acheteuses d’où la terminologie de Long Only en excluant toute vente à découvert.

 

Cette méthodologie de gestion classique ne permet pas malgré la bonne allocation d’actifs de subir des baisses brutales de cours et amène ainsi à une forte dépréciation d’actifs. La généralisation de la gestion d’actifs faisant appel à des produits dérivés d’engagement ferme et conditionnel, que l’on appelle souvent gestion alternative mais qui en réalité est la gestion des risques financiers est plus appropriée dans un monde volatile. Cette pérennité des valorisations d’entreprises dans un monde de changes, taux, actions et matières premiers volatiles est effective grâce à cette gestion appropriée Cela prend la forme de supports dérivés souvent packagés à la vente pour les corporate dans des produits dits structurés. Une telle gestion permet d’éviter de subir les fortes variations du marché et de préserver les valorisations. C’est qui est le préalable à une finance durable qui permet de protéger les entreprises et leurs éléments d’actifs et de passifs de la dépréciation.

 

Ainsi, ingénument, le marché des actions ne faisait que monter et le marché des changes donnait l’impression de ne plus avoir de volatilité (elles sont tombées à 5%). Mais subitement le cours de l’Euro vs. Dollar est passé de 1,10 à 1,14 et les cours des actions se sont écroulées. Aujourd’hui, ce mouvement conjoncturel imprévisible a mis fin au statu quo. Le réveil de la volatilité rappelle l’impérieuse nécessité pour les entreprises de gérer leurs risques financiers, c’est-à-dire les pertes potentielles liées aux variations subites. Les produits dérivés d’engagements fermes et conditionnels sont une réponse idoine, dès lors que la conformité des règles de gestion encadrées par la compliance est strictement respectée. Là est le vrai défi de gestion financière des entreprises dans la décennie à venir.