Ana, Katerine, Ayes, James, étudiants du MBA Droit des Affaires Internationales à l’ESLSCA Business School Paris apportent leur éclairage sur le projet Libra de Facebook.
Le projet de cryptomonnaie “Libra” présenté mi-juin par Facebook ainsi que d’autres entreprises réunies dans la « Libra Association », se trouve depuis le vendredi 12 octobre dernier dans une situation délicate après le départ des grands géants du paiement comme eBay, MasterCard, Visa, Stripe, Mercado Pago et Paypal. La plupart ont justifié leur choix par leurs doutes concernant la capacité du projet à "répondre de façon entièrement satisfaisante à toutes les attentes des régulateurs”.
Pourtant le projet Libra a pour but la création d’une monnaie internationale. L’objectif principal est de devenir une solution de paiement pour toute personne lambda à travers le monde, y compris celles qui sont exclues du système bancaire traditionnel, mais qui dispose de terminaux mobiles connectés. Il répond donc à un véritable besoin et comble un vide dans les réseaux d’échanges au niveau planétaire.
En revanche, la création d’une monnaie privée soulève de nombreuses questions. En l'espèce cette dernière pourrait s’appuyer sur le réseau d’utilisateurs Facebook qui comprend plus de 2 milliards d’internautes, soit un tiers de l’humanité. Ce positionnement, peut-être à l’origine d’un risque d’abus de position dominante ; de disparition des monnaies faibles rendues obsolètes par la Libra ; un risque de défaillance dans le fonctionnement et la gestion des ressources, etc. Ainsi, toute défaillance pourrait créer des désordres financiers considérables pouvant entraîner une crise financière systémique. Ces points ont été rappelés par Maxine Waters, Présidente du Comité Financier des États-Unis, à Mark Zuckerberg, PDG de Facebook lors de l’audience du 23 d’octobre dernier où il a été tenu de répondre à des questions concernant son projet.
L’abandon des investisseurs
Parmi les nombreuses raisons ayant pu pousser les investisseurs comme ebay et visa à renoncer à ce projet, on peut citer le manque de réponses claires de la Libra sur un certain nombre de points.
Tout d’abord, les doutes ont été exprimés concernant la capacité de la Libra à se prémunir contre les risques liés au blanchiment d’argent sale et à la lutte contre le terrorisme. Le réseau Libra n’a pas réussi à présenter des garanties suffisantes quant à la surveillance de l’ensemble des transactions effectuées. Ensuite, la crainte que les régulateurs, tels que la BCE et La FINMA, mettent des barrières à l’utilisation de la Libra comme des taxes. Enfin, la levée de bouclier de certains Etats farouchement opposés à ce projet et décidés à protéger la souveraineté de leur système monétaire contre toute menace potentielle.
En effet, la Libra pourrait remettre en cause l’utilisation des devises actuelles et ainsi perturber le système monétaire mondial ; l’Italie, la France et l’Allemagne ont déjà manifesté leurs craintes à ce sujet. Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie du Gouvernement Français, a pu le mentionner dans sa déclaration du 12 septembre dernier.
On peut également ajouter qu'à ce jour la protection des données personnelles n’est toujours pas réglée. Or, les acteurs financiers ont besoin d’être rassurés sur ce point, car une mauvaise protection des données limiterait sa possibilité d’utilisation.
La fiabilité de la Libra est donc encore loin d’être acquise. La confiance dans cette monnaie, le temps de développement du projet, les différents verrous juridiques et les fonds supplémentaires nécessaires seront importants. Or, les acteurs financiers ont d’autres axes stratégiques pour le moment et préfèrent attendre que le projet mûrisse avant de s’investir pleinement.
Des enjeux juridiques et stratégiques
La Libra s’inscrit dans ce mouvement d’effacement de la puissance publique face à l'émergence d’acteurs privés toujours plus puissants cherchant à exercer des compétences autrefois réservées aux organismes étatiques. La souveraineté des États semble donc atteinte par cette cryptomonnaie.
Depuis toujours, la monnaie est un critère fondamental de la souveraineté étatique. Si on prend l’exemple de l’euro, le transfert des prérogatives monétaires effectué dans le cadre des institutions européennes n’est pas une atteinte à cette souveraineté mais un moyen de son expression, puisqu’il a été construit sur une base volontaire. Or, ici il s’agit d’une tentative de prise de contrôle par un organisme privé, la Libra association, d’une prérogative de puissance publique à des fins commerciales sans concertation avec des instances publiques internationales.
Cependant, les déclarations d’illégalités de la Libra énoncées de part et d'autre part des autorités politiques ne suffisent pas à rendre le projet Libra illégal. Cette décision dans un état de droit revient en dernier ressort aux instances administratives et judiciaires compétentes en la matière.
A qui le tour ?
La Libra est-elle morte ou toujours en vie ? En effet, la perte des acteurs spécialisés en transaction financières est un coup très dur voir fatal pour la Libra. Néanmoins, les membres restants de l'association peuvent toujours trouver des solutions alternatives afin que le projet puisse survive. Sans ces spécialistes, cela sera beaucoup plus long, complexe, coûteux et risqué qu’initialement annoncé.
Comme dit précédemment, le principal marché visé par la Libra est celui des personnes qui n'ont pas encore accès ou ne bénéficient pas d'un système bancaire performant. Or, les acteurs pouvant remplacer le projet de la Libra Association sont rares. On pourrait penser à Google ou Apple, mais aucune de ces deux entreprises n'a actuellement de projets visant à créer un nouveau système de paiement avec des objectifs similaires à ceux de la Libra. En revanche, les BATX (Alibaba, Tencent, etc.), équivalent chinois des GAFAM (Google, Microsoft, etc.), travaillent actuellement avec la Banque Centrale Chinoise afin de développer un crypto-Yuan remplissant des fonctions et des objectifs similaires à ceux de la Libra. Son but est bien sûr de garantir la souveraineté monétaire de la Chine tout en gardant une monnaie centralisée et contrôlée par des organes publics avec les avantages d’une crypto-monnaies. L’objectif à terme est de faire disparaître les espèces et permettre au Yuan d'être beaucoup plus présent sur les marchés internationaux, ce qui sans doute s’inscrit dans la stratégie du développement des nouvelles routes de la soie.
Mark Zuckerberg semble avoir voulu soulever ce défi lors de ses auditions au Congrès le 23 octobre dernier, évoquant les risques que la non-innovation faisait prendre à la suprématie des puissances occidentales. Malheureusement pour lui, l'assistance semblait peu réceptive à cet argument. Les scandales ayant éclaboussés Facebook étaient plus présents à l'esprit des Parlementaires Américains. Après tout, n'avons-nous pas tous tendance à craindre bien plus le mal que nous connaissons, que celui dont-on ignore encore tous les maux ?
Ana Eliza Lopez, Katerine Correa, Ayes Delibes, James Titina-Barclay
Etudiants à l’ESLSCA Business School Paris