En 2021, soit 13 ans après, l’affaire Kerviel/Société Générale pourrait-elle encore survenir ?
Tout le monde qui suit de près ou de loin l’actualité économique et financière entend des vérités et bien sûr des contrevérités, ainsi que des contresens au sujet de tout ce qui touche aux marchés financiers. La crise des Subprimes en 2008 a amplifié et/ou renouvelé les critiques récurrentes au sujet des activités de marchés et notamment de trading. Une terminologie nouvelle est même apparue : « Produits Toxiques ». La messe était dite….
Depuis les différentes affaires de positions financières délictueuses dans le monde entier largement médiatisées (la Baleine de Londres Bruno Iksil chez JP Morgan, Fabrice Tourre chez Goldman Sachs à New York, Jérôme Kerviel à la Société Générale à Paris découverte le 18 janvier 2008), un durcissement salutaire des procédures de contrôle et de compliance ont été mis en place depuis lors. En effet les rebondissements du procès Kerviel/Société Générale sont toujours d’actualité (avec à la clé une perte sèche de près de 5 milliards d’euros liés à des positions ouvertes et non couvertes oscillant entre 50 et 80 milliards d’euros et ceci pendant près de 3 ans entre 2005 et 2008.
La question est de savoir si en 2021, cet accident industriel majeur lié au comportement délictueux d’un individu pourrait encore survenir. C’est que depuis lors la technologie Blockchain est apparue et va permettre d’éviter à ce qu’un individu (ou un groupe d’individus) puisse masquer des opérations délictueuses sur les marchés financiers et notamment avec un dépassement des positions autorisés des lignes : Rappelons tout de même que le niveau de dépassement de Jérôme Kerviel était de 1 500 fois les positions autorisées, ce qui est monumental !
Mais reprenons la chronologie des faits et commentons-les avec la grille de lecture de 2021. Jérôme Kerviel, né en 1977 est, de 2005 à 2008, un Trader Delta One à la Société Générale à Paris. C’est-à-dire qu’il prend des positions fermes (pas optionnelles) sur des actifs au comptant arbitrés (c’est-à-dire couverts) avec des contrats à terme (futures) de telle sorte que toutes les positions prises par ce trader ne sont jamais exposées au risque d’évolution du marché (à la hausse comme à la baisse). La rémunération de cette activité dite Delta One provient de l’évolution du report ou du déport (c’est-à-dire l’évolution de l’écart des prix au comptant et des prix à terme). Or il s’est avéré que la plupart de ces opérations de couvertures étaient fictives, alors que le contrôle des risques de la Banque considérait qu’il était effectivement couvert. Ainsi, ce trader indélicat est donc l’acteur majeur des pertes de la Société générale découvertes le 18 janvier 2008, celles-ci résultant de la liquidation de ses prises de positions sur des contrats à terme sur indices d'actions s'élevant à cette époque à environ 50 milliards d'euros. Le 24 janvier 2008, à l'occasion de la publication des résultats de son exercice 2007, la direction de la Société générale organise une conférence de presse afin de dévoiler l'affaire dont elle se dit victime. D'après Daniel Bouton, PDG de la banque, un opérateur de marché, faisant partie de ses effectifs, aurait exposé la banque à un risque de marché alors que ce n'était pas dans ses attributions. Il aurait accumulé des positions acheteuses sur les contrats à terme portant sur indice et dissimulé ces opérations faites sur le marché en introduisant dans le système informatique de la Société générale des opérations inverses fictives les compensant.
En juin 2007, le trader aurait affiché une valorisation négative de 2,2 milliards d'euros sur la position de 30 milliards d´euros qu´il avait accumulée et le trader aurait pris ensuite des positions plutôt heureuses pour réaliser au 31 décembre 2007 un gain cumulé sur l´année 2007 d´1,4 milliard d'euros (s'il avait été découvert ce jour-là, la banque aurait enregistré un profit de 1,4 milliard d´euros) ! En réussissant à masquer l'importance et le risque des positions qu'il avait prises grâce à sa très bonne connaissance des procédures de contrôle interne, connaissances qu'il aurait acquises lors de ses quelques années passées au «middle office», c’est-à-dire au contrôle de gestion des risques Il n'y aurait eu, selon les dirigeants de la banque, aucun enrichissement personnel, ce qui s’est avéré véritable. Selon la banque, il aurait reconnu lors de l'enquête interne de la Société générale au moment de la découverte de ses malversations, avoir effectué les opérations litigieuses et les avoir masquées.
Lorsque les positions secrètes ont été découvertes le 18 janvier 2008, la perte latente enregistrée était assez faible au vu des montants engagés, mais la Société générale a estimé que cela l'exposait à des risques considérables, ce qui était vrai puisque la position ouverte (80 Milliards d’euros d’exposition non couverte) détenu était quasiment 2 fois les fonds propres de toute la banque ! Le PDG de la banque, Daniel Bouton a ainsi déclaré que « Si une guerre avait éclaté lundi ou si les marchés avaient chuté de 30 %, la Société générale (GLE) risquait le pire avec une telle exposition ». La banque a donc préféré déboucler dans le secret les positions au plus vite en vendant pour 60 milliards d'euros d'options du lundi au mercredi suivant, mais jouant alors de malchance avec la chute des places financières en ce début de semaine, enregistre une moins-value nette record de 6,3 milliards d'euros (sur un bénéfice annuel 2007 estimé préalablement à 7 milliards d'euros). C'est après soustraction des gains du trader de 1,4 milliard d'euros qu'est apparu le montant d'une perte de 4,9 milliards d'euros.
Cette affaire tragique et tant d’autres (la Baleine de Londres Bruno Iksil chez JP Morgan, Fabrice Tourre chez Goldman Sachs à New York font partie des plus emblématiques), a eu avec le recul le mérite de « siffler la fin de la récréation ». Non pas pour en finir avec les marchés financiers single et dérivés, qui ont une utilité indéniable macro-économique de gestion et de couverture des risques financiers des entreprises, mais pour mettre en place un contrôle de gestion des risques financiers robuste, avec un suivi effectif et exemplaire des positions tant dans les banques, établissements financiers, compagnie d’assurances, fintechs et également les trésoreries d’entreprises. Le développement impressionnant de services de compliance dans toutes les parties prenantes des marchés financiers et le développement de la technologie Blockchain et la mise en place de Smart Contracts liant des positions fermes sur les marchés financiers single, cash et leur couverture avec des produits dérivés fermes et conditionnels, plain vanilla et exotiques de façon irréfragable, c’est-à-dire que, une fois mise en place dans la chaine de blocs décentralisé, ces Smart contracts ne peuvent pas être récusés ou modifiés. En effet l’un des avantages précieux de la technologie Blockchain est d’assurer un traçage systématique de toutes les opérations sur l’ensemble des marchés financiers réglementés.
Donc une fois qu’une position avec sa couverture est inscrite dans le Smart Contract, il n’est plus possible de la modifier ; de même qu’il n’est pas possible que, dans une activité de type Delta One, une opération single ou cash puisse être inscrite dans un Smart Contract sans qu’il n’y ait de façon impérative sa couverture avec un produit dérivé d’engagement ferme et/ou conditionnel. Ainsi les «oublis» de couverture des risques avec des produits dérivés fermes et ou conditionnels ne seront plus possibles désormais. Revenir dans le système du Back Office pour modifier des positions de couverture dans un Smart Contract ne sera plus possible, car la construction même de cette technologie Blockchain empêche de revenir sur une position mise en place dans le Smart Contract. Cette sécurisation des positions des marchés financiers est enfin réalisée grâce à l’apport de cette technologie Blockchain qui a d’ailleurs d’autres développements souvent beaucoup plus médiatisés que sont les cryptoactifs. Cette technologie Blockchain décentralisée est donc l’aboutissement du suivi de la gestion des risques financiers de tous les acteurs des marchés financiers et complète tous les dispositifs Mifid et Bâle IV 2019.
Les opérations sur les marchés financiers restent donc libres en 2021, car elles sont enfin régulées efficacement avec des dispositifs technologiques performants en l’occurrence le Blockchain et les Smart Contracts. En fait, le développement d’ordinateurs particulièrement rapides et performants rend tout à fait possible à ce jour le développement de ce Middle Office particulièrement performant de suivi des positions sur les marchés financiers, accompagné par les méthodes de Compliance. Que 2021 soit l’année de la généralisation de ce type de technologies pour ces services de contrôle des risques financiers et de la prévention de délits financiers pouvant avoir des conséquences considérables, comme nous l’avons bien notifié au début de notre propos. Ainsi, cette liberté de marché, n’est en aucun cas incompatible avec une régulation efficace et permettant de détecter et d’arrêter les individus contrevenants, et ceci dans l’intérêt de la société. C’est l’un des principes de toute société harmonieuse, ouverte et démocratique de pouvoir rendre durable un système bancaire transparent et évoluant dans un environnement de marchés financiers dont le suivi sera désormais sans failles. En tous les cas, c’est bien l’objectif.
Par Georges CASTEL, Directeur du MBA2 Trading-Finance de Marché, Professeur Permanent. Trader Options & Dérivés pendant 15 ans. Doctorant en Sciences de Gestion Université de Paris I Panthéon Sorbonne – PRISM Finance – (depuis 2018)